Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article CURATOR CIVITATIS

CURATOR CIVITATIS

CURATOR CIVITATIS ou RELPUBLICAE. I. Sous de l'administration romaine pendant l'empire, chargé d'une manière générale de la haute surveillance sur tout ce qui avait trait aux finances des cités. Ces attributions financières avaient fait traduire en grec le terme très général de curator par ]e mot précis de es logiste s, c'est-à-dire officier comptable : curatcir reipublicac, qui graeco vocabulo logista nuncupatw* Les inscriptions grecques emploient, couramment le mot ÀoIojç, et les inscriptions latines se servent de la traduction logisba lorsque la fonction de curateur a été exercée dans une cité grecque ainsi un même personnage ayant exercé cette curatelle en Italie d'abord, à Téanum en Apulie, puis à Nicomédie, est dit dans lepremier cas cus'ator civitatis Teanensinin, et dans le second logista civitatis splendidïssimae iVicomedensiuin, toujours sur le même monument . En latin, on se sert indifférera nient des mots curator civitatis, curahor retpublicae suivis du nom de la ville dont le personnage a été curateur. A quelle époque remonte l'institution des curateurs ? D'après Ulpien, è l'empereur Nerva'. C'est pendant ce règne, comme on le sait, que les cités furent autorisées pour la première fois à accepter des legs ; il est de toute vraisemblance que l'empereur ait institué un nouveau magistrat chargé de veiller aux finances municipales, précisément à l'époque où celles-ci pouvaient recevoir un accroissement considérable par suite de la faveur qui leur était faite. Cependant les inscriptions n'ont pas fait connaître encore de curatoi' antérieur au règne de Trajan Par qui sont nommés les curateurs ? Par l'empereur. Il y a, en effet, un grand nombre d'inscriptions qui au titre de curator ajoutent les mots dates ab itnperatore. L'omission fréquente de ce titre ne saurait ètre un argument contre ce mode de nomination, qui est indiqué aussi dans les textes et qui ne pouvait être différent avec les fonctions que les curateurs avaient è remplir. Cette curatelle fut vraisemblablement è l'origine une charge extraordinaire, n'ayant rien de général. Les finances d'une cité ayant subi des molversations dont les habitants avaient eu è souffrir les conséquences, l'empereur y avait délégué un commissaire pour vérifier la caisse municipale. Il se peut même, suivant une hypothèse récente qui s'appuie sur cette expression anormale datais ab imperatore, que la nomination d'un curateur ait été comme une faveur sollicitée par les cités désireuses de remettre en équilibre leur budget, et accordée par l'empereur'. Quoi qu'il en soit, que l'initiative de cette mesure soit venue du pouvoir central ou des municipalités, il est certain qu'elle ne fut è l'origine qu'une exception; mais cette exception ne tarda pas, sinon à devenir la règle (car on ne peut dire que sous les Antonins, toutes les cités de l'empire aient eu des curateurs impériaux comme elles avaient des magistrats municipaux), du moins à devenir CUR 1620 CUR d'un usage très fréquent : on n'a qu'à feuilleter les tables des différents volumes du Corpus des inscriptions latines pour se convaincre que dans toutes les cités de l'orbis romanus, en Espagne, en Italie, en Afrique, en Asie, etc., on retrouve ce magistrat. Sans doute le plus grand nombre des curateurs appartient aux cités italiennes; plus voisines du siège de l'empire, il est naturel qu'elles aient eu plus souvent que les autres des contrôleurs impériaux; mais les finances des autres cités n'échappèrent pas non plus à cette inspection, toutes les fois que la chose fut jugée nécessaire. On sait que les fonctionnaires impériaux envoyés dans les provinces ne pouvaient pas être originaires du pays qu'ils devaient gouverner : il en fut de mème pour les curateurs à l'égard des cités'. Toutefois cette règle générale souffre quelques exceptions : on trouve des exemples de curateurs ayant exercé leurs fonctions dans leur ville natales. A titre de fonctionnaire impérial, le curateur devait avoir un traitement, publicum salarium. On peut l'inférer d'un passage du Digeste où les citoyens d'une ville sont autorisés alaire partie du conseil du curateur de cette même ville, puisqu'ils ne reçoivent aucun traitement public °. Les curateurs à l'origine semblent avoir été pris de préférence parmi les membres de l'ordre équestre. MarcAurèle, pour augmenter les privilèges du sénat, donna à beaucoup de villes des curateurs de rang sénatorial". Il n'en faut pas conclure qu'après lui ils aient tous été sénateurs, et qu'avant ils aient tous été chevaliers. Avant Marc-Aurèle, on trouve plus d'un sénateur ayant exercé ces fonctions, entre autres le consul si connu, Burbuleius, qui fut curateur de Terracine, d'Ancône et de Narbonne sous le règne d'lIadrien 11 ; après Marc-Aurèle, les inscriptions mentionnent encore beaucoup de chevaliers'". Il n'y eut donc jamais de règle précise sur ce point. La seule chose qui paraît avoir été observée, au moins pour les curateurs de rang sénatorial, c'est qu'ils ne recevaient ce titre qu'après avoir exercé la préture. Très rarement ils arrivaient à la curatelle au sortir de la questure 13. Le curateur n'était pas tenu à la résidence. On le sait par un extrait des délibérations du municipe de Caeré, en Étrurie, qui rapporte que, pour faire ratifier un vote des décurions sur une autorisation de bâtir, on dut écrire au curateur de la cité, Curiatius Cosanus, alors à Amérie, en Ombrie "'. Si le curateur n'est pas astreint à résider, on comprend qu'il puisse en même temps exercer d'autres curatelles ou des fonctions d'un autre genre : ainsi on connaît un curateur de Marruvium chez les Marses quise dit en même temps, (t eodem tempore n, curateur de la voie Valeria f6. Les exemples ne manquent pas non plus de personnages ayant été curateurs de plusieurs cités à la fois, alors même que ces cités n'étaient pas dans la même province ira Les fonctions de curateur étaient assez importantes pour qu'elles aient été l'objet d'un commentaire spécial de la part d'Ulpien; malheureusement son livre De officia curataris reipublicae n'a été conservé que par fragments dans les citations du Digeste. Ces textes juridiques, quelques passages du code, des inscriptions, voilà tout ce qui permet de connaître l'offcium de ce magistrat. Le curator reipublicae prenait soin, comme son nom l'indique, de la chose publique, du patrimoine de la cité : la surveillance du patrimoine municipal, c'est à cela que se ramènent toutes ses attributions, si multiples qu'elles soient. Ainsi il donne à bail les immeubles communaux, il le fait sous sa responsabilité, en exigeant des preneurs des cautions sérieuses i7. Il revendique les biens qui ont été aliénés du fonds communal, alors même que les détenteurs sont de bonne foi ; mais dans ce cas il autorise le recours de l'acheteur contre ses vendeurs 18. Il accorde la permission de construire sur les terrains publics (in publico facere) 19. Il a la surveillance des capitaux de la ville, en compagnie d'un fonctionnaire, son subordonné, le curator calendarii [CALENDARIUM]. A ce titre, il est chargé du placement de ces capitaux ; le plus souvent il les prête, mais en prenant hypothèque ou en se faisant donner un gage suffisant 20. Il doit veiller à ce que les intérêts soient régulièrement payés; s'ils ne le sont pas, il doit faire recouvrerlacréance, mais avec ménagement et sans violence, dummodo non acerbum se exactorem nec contumeliosum praebeat 21. 11 est aussi chargé de percevoir l'argent destiné aux achats de blé". Le curateur doit poursuivre le recouvrement des legs faits aux cités 23. Si les héritiers mettent trop de temps à acquitter la dette, le curateur leur impose de payer des intérêts 2'. Lorsqu'un habitant a promis d'élever un monument dans son municipe et qu'il en a commencé l'exécution, le curateur a le droit de le contraindre, lui ou ses héritiers, à en poursuivre l'achèvement 2J. Comme le curateur intervient toujours dès qu'il s'agit de la fortune municipale, sa surveillance s'étend aussi sur tout ce qui a trait aux travaux publics proprement dits et aux édifices de la cité. Ainsi c'est à lui qu'incombe le soin de faire reconstruire les maisons en mauvais état 2°. En plus d'une circonstance, c'est un véritable édile 27. Ces attributions financières si étendues n'étaient pas les seules des curateurs. Ils eurent quelquefois aussi des attributions politiques. Ainsi l'on voit un curateur convoquer à Bovilles, en 157 après J.-C., les premiers comices qui s'y tinrent pour l'élection des magistrats 28. Mais c'est là un cas extraordinaire, et il ne faudrait pas d'après cet exemple s'exagérer l'autorité du curateur, ni croire qu'il ait été autre chose qu'un magistrat de l'ordre financier. Il reste à voir en quelques mots quel a été le but de cette institution et s'il est vrai qu'elle ait étouffé la vie municipale. Le curateur a été établi pour surveiller les revenus et les dépenses des cités; par suite il n'est presque pas de questions dans lesquelles il n'ait à s'immiscer. Ce pouvoir, qui, à s'en tenir aux textes du Digeste, paraît excessif, n'a pourtant nulle part porté atteinte aux droits des cités ; le curateur veille à ce qu'on n'empiète pas sur les biens des municipes, à ce que les recettes soient régulièrement perçues, à ce que les dépenses soient proportionnées aux revenus : c'est un droit de contrôle, et rien de plus. Qu'est-ce que les municipes, toujours si jaloux de leurs privilèges, pouvaient redouter pour leurs franchises d'un magistrat qui n'était pas tenu à la résidence et qui ne pouvait pas infliger des amendes29? Il est bien probable au contraire que toutes les cités de l'empire CUR 1621 CUR saluèrent avec joie l'apparition de ce fonctionnaire nouveau qui, sans porter ]a moindre atteinte au pouvoir des décurions, n'avait pas d'autres attributions que d'assurer la prospérité matérielle des municipes : il n'y a nulle part la preuve que les populations aient eu à souffrir de celte innovation administrative de l'époque des Antonins °°. Le curator dont il vient d'être question n'exerçait ses fonctions que dans les cités ; mais il y eut aussi au deuxième siècle de l'empire, sous les Antonins, des fonctionnaires chargés de l'inspection des finances dans une province entière ; il semblerait que cette charge ait été spéciale au règne d'Hadrien et aux provinces d'Asie, d'après les rares exemples que l'on en possède : L. Burbuleius, nommé par Hadrien logista Syriae 31; T. Severus dont le même empe II. Aimés DIOCLÉTIEN, Le curator civitatis n'échappa pas à la transformation profonde qui atteignit, lors du BasEmpire, tous les rouages de l'administration. A partir du Ive siècle, la nature du curator change radicalement : il cesse d'être un fonctionnaire public, nommé par l'empereur et pris parmi les sénateurs et les chevaliers, pour devenir purement et simplement un magistrat municipal, nommé à l'élection par ses concitoyens, parmi ceux qui ont déjà passé par la série complète de toutes les fonctions municipales ou• Si l'origine du curator n'est plus la même, ses fonctions ont aussi changé; elles constituent dans leur ensemble une charge excessivement lourde, qui pèse uniquernent sur la classe des CURIALES. Le curateur municipal do Bas-Empire a des attributions si vastes et si importantes qu'on le désigne couramment dans les textes juridiques par le mot pater civitatu. Ses attributions sont triples : il est à la fois officier de finances, administrateur et édile. Officier de finances, il est chargé de gérer, à ses risques et périls, tous les biens, meubles et immeubles, de la cité administrateur, il veille à ce que toutes les formalités du cens soient scrupuleusement observées, I. ce que tous les actes de l'état-civil soient régulièrement tenus; édile, il a la charge de tout ce qui regarde le service des rues, l'entretien et la construction des édifices. Il n'y a donc plus rien de commun entre cette charge écrasante de la fin de l'empire, à laquelle on tente de se soustraire comme à toutes les charges imposées aux CIJRÏALES, et la charge du curator civitatis au 11e et au ttte siècle ou Q LACOUR-G,8YET.